Voici le plus récent texte du dramaturge britannique Martin Crimp, livré en grande première mondiale par l’auteur lui-même, dans la langue originale, pour une représentation unique et exceptionnelle. Christian Lapointe, électron libre du théâtre québécois, qui a déjà traduit et mis en scène plusieurs pièces de Crimp, signe ici la conception de cette lecture-performance et donne lui-même les deux représentations suivantes, en français, dans une traduction de son cru.
La pièce est faite de 299 répliques, dites par autant de personnages. Elle constitue une sorte d’hommage à la multiplicité des points de vue et à l’infinie variété de l’expérience humaine. Rassembler ces 299 voix en un seul interprète pourrait-il suggérer que chacun de nous est multiple et contiendrait en quelque sorte la totalité de l’humanité?
À partir d’un procédé qu’on appelle l’hypertrucage, en anglais deepfake, Lapointe et son équipe ont mis au point un dispositif vidéo qui anime des images de visages générés par des algorithmes, visages de personnes qui, comme celles inventées par l’auteur, n’existent pas mais paraissent réelles et étonnamment vraies. Et ce sont ces personnes fictives qui s’expriment à travers l’interprète, chacune des répliques semblant sortir de leur bouche alors qu’elles proviennent en réalité de celle du lecteur. Ces voix qui se font entendre l’une après l’autre sont aussi comme des vignettes ouvertes sur l’intimité de figures fictionnelles qui rappellent les opinions de tout un chacun exprimées sur les médias sociaux.
L’œuvre pose également la question devenue cruciale de la légitimité de la fiction littéraire aujourd’hui, en particulier dans le théâtre actuel. Qui peut faire parler qui? Qui peut jouer qui? Où s’arrête la liberté artistique?
Je ne suis pas l’une de ces personnes. Aucune de ces personnes n’existe.