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Au Québec, le débat public concernant la question constitutionnelle a été largement dominé au cours des dernières décennies par le contentieux entourant le rapatriement en 1982 de la Constitution du Canada, qui n’a jamais été ratifiée par le Québec. Toutefois, le projet de doter le Québec d’une constitution propre est de loin antérieur à ces évènements, et il a été porté aussi bien par des personnes attachées à la fédération canadienne que par des personnes souverainistes, motivées par la vision d’un Québec-pays. La constitution canadienne accorde d’ailleurs aux provinces de se doter de leur propre constitution. À ce jour, la Colombie-Britannique est toutefois la seule province à s’être prévalue de ce droit en adoptant en 1996 le Constitution Act, qui régit entre autres l’exercice du pouvoir politique au sein de la province. Les prochains paragraphes passent en revue l’histoire inachevée du projet d’une constitution du Québec. La démarche d’assemblée constituante qui sera imaginée sur les bases de la présente recherche s’inscrit dans la lignée de cette histoire, avec la particularité de mettre le citoyen et la population québécoise au coeur du projet de rédaction d’une constitution du Québec.
On attribue à Joseph-Charles Taché d’être le premier, en 1858, à avoir formulé de manière sérieuse l’idée que les États fédérés au sein d’une éventuelle union canadienne se dotent d’une constitution propre qui soit l’expression fondamentale de la souveraineté populaire1. Ce projet de constitutions provinciales ne sera pas mis en marche après la formation de la fédération canadienne en 1867, et il ne reviendra à l’ordre du jour avec force que près d’un siècle plus tard avec l’essor au Québec d’une conscience nationale et la volonté d’établir collectivement les fondements politiques et sociétaux du Québec.
Au cours des années 1960, en effet, l’Union nationale de Daniel Johnson et le Parti libéral sous la gouverne de Jean Lesage proposeront tour à tour que le Québec se dote d’une constitution interne qui soit sa loi fondamentale et qui établisse entre autres les droits fondamentaux des citoyens du Québec2. Dès sa fondation en 1968, le Parti québécois intègre également à sa plateforme le projet d’une constitution du Québec, précisant que celle-ci devrait être rédigée par les citoyens à l’échelle des comtés et approuvée par une assemblée constituante constituée à cet effet. Dans le contexte de cette mouvance entourant l’idée d’une constitution pour le Québec, les États généraux du Canada français adoptent en 1969 une résolution, par un vote de 598 contre 12, en faveur de l’élaboration d’une constitution du Québec3. Avec la montée du mouvement indépendantiste dans les années 1970, le projet de constitution du Québec est subordonné à la mobilisation en vue d’un référendum sur la souveraineté du Québec, alors considéré par les indépendantistes comme une étape préalable à la formulation d’une Constitution d’un Québec-pays. Après l’échec du référendum de 1980, ce sont les démarches entamées par le gouvernement fédéral de Pierre Elliott-Trudeau pour rapatrier de Londres la Constitution canadienne qui occuperont le débat public. Avec le rapatriement de la Constitution en 1982 par le gouvernement fédéral en collaboration avec les autres provinces canadiennes, mais sans le consentement du Québec, celui-ci se retrouve dans une situation particulière qui perdure à ce jour. À défaut d’être signataire de la Constitution canadienne, le Québec y est malgré tout soumis de fait, et les lois votées par l’Assemblée nationale du Québec y sont subordonnées.
En 1990, dans la foulée de l’échec de l’Accord du lac Meech par lequel le Québec posait les conditions à son adhésion à la Constitution canadienne, le gouvernement libéral de Robert Bourassa mandate la Commission Bélanger-Campeau afin de faire le point sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec. Après avoir consulté la population, la Commission établit deux voies possibles pour le futur politique et constitutionnel du Québec : la première voie implique un réaménagement du régime fédéral canadien, alors que la deuxième concerne l’accession du Québec à la souveraineté. Dans tous les cas, la Commission soulève l’idée émise par la population selon laquelle « (…) l’adoption par le Québec d’une constitution qui lui soit propre devrait accompagner la redéfinition de ses relations avec les autres parties du Canada.4» Le rapport stipule d’ailleurs que « La Commission est d’avis que la population devra s’exprimer sur la question de son avenir politique et constitutionnel par le biais d’une consultation démocratique formelle5. » Les recommandations du rapport Bélanger-Campeau ne seront pas appliquées par le gouvernement de Robert Bourassa.
Le projet de constitution du Québec revient à l’ordre du jour à l’occasion des États généraux sur la réforme des institutions démocratiques du Québec, qui publiera son rapport en 20036. On peut par exemple lire dans ce rapport que « (…) l’adoption de la constitution du Québec est une action primordiale qui favorisera l’épanouissement démocratique du Québec en élargissant le champ de conscience et le champ des connaissances et des pratiques démocratiques, permettant ainsi au citoyen d’assumer ses droits et ses responsabilités avec plus de maturité. » Cette mesure aurait été appuyée par 82 % des citoyens sondés7, mais le rapport du Comité directeur des États généraux sera également relégué en grande partie aux oubliettes.
Après avoir été ainsi porté par plusieurs partis et des individus de différentes allégeances politiques, c’est au tour d’un regroupement de citoyens de se réapproprier le projet d’une constitution du Québec. Le Mouvement démocratique pour une constitution du Québec nait en effet en 2003 des suites des États généraux sur la réforme des institutions démocratiques et il organise en 2006 un Rendez-vous de deux jours qui aboutit à un texte intitulé : « Éléments essentiels pour une Constitution pour le Québec d’aujourd’hui ». Ce document prévoit une réforme du mode de scrutin; l’élection du premier ministre au suffrage universel; il affirme la souveraineté du peuple; il met en place un droit d’initiative législative citoyenne; etc. Il n’aborde pas, cependant, la question du statut politique du Québec et ne vise donc pas à modifier la structure fédérale canadienne.
En 2012, un regroupement politique nommé la Coalition pour la constituante fera de la mise en place d’une assemblée constituante leur unique promesse électorale. Québec solidaire et Option nationale ont également intégré l’assemblée constituante à leur programme électoral.
On constate donc que parmi les promoteurs historiques du projet de constitution du Québec, la souveraineté du Québec est loin d’être considérée comme la seule issue possible d’une démarche constituante. Pour Benoît Pelletier, ancien ministre libéral aux affaires intergouvernementales canadiennes, une constitution du Québec représente plutôt l’opportunité de refonder le Québec en faisant la synthèse de ses valeurs, et n’implique pas pour autant un rejet du fédéralisme canadien8. Des personnages politiques comme Jean Charest, ancien premier ministre du Québec qui s’est ardemment opposé à la souveraineté du Québec lors du référendum de 1995, reconnaissent également l’intérêt de produire une constitution du Québec9.
– La Constitution canadienne accorde aux provinces de modifier sa constitution interne et de se doter d’une constitution provinciale à l’intérieur de ses compétences.
– La Colombie-Britannique est la seule province canadienne à s’être dotée d’une constitution provinciale.
– Le projet de constitution du Québec a été porté aussi bien par des partis fédéralistes que souverainistes.
– L’Assemblée constituante comme mode de production d’une constitution du Québec est proposée au moins depuis les années 1960, et suscite un intérêt croissant depuis les années 2000.
Le pari des artistes de théâtre est de mener un exercice citoyen et non partisan de rédaction d’une constitution sans attendre la commande politique, et de confronter le public québécois au résultat de cet exercice dans le cadre d’une oeuvre théâtrale. Celle-ci sera dirigée par Christian Lapointe, metteur en scène et performeur. Au printemps 2019, grâce à un dispositif participatif, il appellera les membres du public à participer à un jeu de rédaction d’une constitution pour le Québec, pour ensuite mettre leur vision en perspective avec celle préalablement définie par un nombre plus large de Québécois.
– demander aux Québécois quelle sorte de gouvernement et de société ils souhaitent;
– expérimenter dans le réel le concept d’assemblée constituante au Québec;
– explorer et dévoiler un projet constitutionnel québécois sous couvert du jeu théâtral.
Les services de l’Institut du Nouveau Monde ont été retenus pour concevoir la démarche d’assemblée constituante qui deviendra le socle du projet théâtral. Le design de cette démarche se fonde sur un travail de recherche sur des expériences récentes d’assemblées constituantes à travers le monde, incluant une revue de littérature et des entrevues avec des experts et protagonistes.
Le document suivant présente la synthèse des apprentissages du travail de recherche et les recommandations méthodologiques qui en découlent pour une démarche d’assemblée constituante qui soit originale et adaptée au contexte québécois, citoyenne et non-partisane, rigoureuse et exemplaire en ce qui a trait aux règles de l’art de la participation publique. Ce document inclut également les grandes étapes d’une structure pressentie pour la démarche à des fins de discussion.
– De rédiger un projet de Constitution québécoise
– D’effectuer, à cette fin, une tournée de consultation dans les régions du Québec
– De transmettre le texte final du projet de Constitution québécoise à l’Assemblée nationale du Québec.
Dans le cadre du projet CONSTITUONS!, l’Assemblée constituante citoyenne est invitée à rédiger tous les projets d’articles constitutionnels qui lui semblent pertinents, sans égard aux contraintes qui pourraient résulter de l’ordre constitutionnel canadien actuel, et notamment de la Loi constitutionnelle de 1867 et de la Loi constitutionnelle de 1982.
Le Comité d’experts déterminera si les projets d’articles constitutionnels sont conformes ou non à ces deux lois et à la Constitution du Canada dans son ensemble. Les projets d’articles constitutionnels qui contreviennent à ce cadre constitutionnel seront identifiés en conséquence pour que l’Assemblée constituante puisse se prononcer en connaissance de cause lors du vote sur le texte final du projet de Constitution québécoise.
Afin de faciliter et de structurer les travaux de l’Assemblée constituante, celle-ci sera divisée en six (6) commissions thématiques de sept (7) membres. Chacune de ces commissions sera responsable d’élaborer des projets d’articles constitutionnels associés à sa thématique.
– Commission no 1 : Préambule, valeurs et principes, symboles nationaux
– Commission no 2 : Droits et devoirs fondamentaux
– Commission no 3 : Institutions et pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire)
– Commission no 4 : Organisation territoriale et attribution des compétences municipales
– Commission no 5 : Partenariats autochtones, affaires canadiennes et relations internationales
– Commission no 6 : Procédures de révision et participation citoyenne
CONSTITUONS! propose aux Québécois et Québécoises de se prêter à l’exercice d’une Assemblée constituante citoyenne dans le but d’élaborer et de rédiger une constitution pour le Québec.
– 1. L’Assemblée : L’Assemblée constituante citoyenne est composée de 42 membres choisis par tirage au sort en respectant des critères de représentativité de la société québécoise (âge, région administrative, langue maternelle, revenu familial, personnes issues de l’immigration, membres des nations autochtones).
– 2. La coprésidence d’assemblée : L’animation des travaux de l’Assemblée est effectuée par une coprésidence composée d’une femme et d’un homme.
– 3. Le secrétariat d’assemblée : Le Secrétariat d’assemblée est composé du personnel de l’Institut du Nouveau Monde et travaille en appui aux membres de l’Assemblée et à la coprésidence.
– 4. Les commissions thématiques : Les membres de l’Assemblée siègent au sein de l’une des six (6) commissions thématiques où se déroulera la majeure partie du travail d’élaboration et de rédaction des articles de la Constitution.
– 5. Le Comité directeur : Le comité directeur est composé d’un représentant du théâtre Carte Blanche, d’un représentant de l’INM et des deux coprésidents. Le mandat du comité directeur est de valider les grandes étapes et de prendre les décisions stratégiques pour garantir l’efficacité, la transparence et la crédibilité de la démarche.
– 6. Le Comité d’experts : Le comité d’experts est composé de spécialistes et de chercheurs dans le domaine du droit ou de la science politique. Le mandat de ce comité est de relire et de commenter la documentation produite pour les membres de l’Assemblée constituante pour assurer qu’ils disposent d’une information fiable et complète. Toute autre contribution ou témoignage peut également être offert selon les besoins d’information de l’Assemblée.
De novembre 2018 à février 2019, 10 forums citoyens ont été tenus à travers le Québec : Baie-Comeau, Le Bic, Carleton-sur-Mer, Montréal, Longueuil, Québec, Rouyn-Noranda, Sherbrooke, Wakefield (forum bilingue) et Saguenay. Les forums ont été animés par l’équipe de l’INM sous la formule des conversations de café, dans un cadre convivial et décontracté.
Les participants étaient invités à visionner une vidéo de présentation de l’Assemblée constituante et des commissions thématiques, puis à choisir un thème de travail (une commission thématique) en début de séance. Chaque commission thématique recevait un certain nombre de questions à discuter au sein de leur groupe. À la fin de l’activité, une séance plénière permettait aux groupes de partager les résultats de leurs discussions (idées fortes, points de convergence et de divergence) et à réagir aux propos des autres groupes. Les groupes étaient composés de trois à sept personnes. Deux employés de l’INM étaient présents pour animer les séances et pour en superviser le bon déroulement. Les participants retranscrivaient leurs opinions personnelles sur des canevas de réponses individuels et les résultats des discussions en groupe sur des canevas de réponses collectifs. Le Guide de participation est disponible à l’Annexe IV. Les questions posées dans le cadre des forums citoyens ne couvraient pas l’ensemble des questions identifiées par les constituants, mais privilégiaient les questions complexes, ne se répondant pas simplement par oui ou non. Les questions de discussion sont regroupées en Annexe III.
Un forum citoyen prévu au Théâtre Parminou de Victoriaville a été annulé la veille de l’événement en raison d’un trop faible nombre d’inscriptions.
La présentation des résultats des forums citoyens priorise les réponses aux questions qui ont fait l’objet d’une discussion collective – donc d’une confrontation des points de vue – par rapport aux contributions individuelles. Les réponses recueillies sur des feuilles de prise de notes individuelles ont surtout été utilisées pour compléter ou illustrer certaines idées qui sont ressorties des discussions collectives, ou pour leur valeur en termes d’originalité. Le nombre de groupes de discussion varie d’une commission thématique à l’autre, en raison de la distribution et du nombre variable de participants d’un forum citoyen à l’autre.
Un questionnaire en ligne visant à recueillir les opinions de la population québécoise a été diffusé du 7 janvier 2018 au 18 février 2019. Les résultats de ce questionnaire visaient à répondre à certaines questions que se sont posées les membres de l’Assemblée constituante, différentes et complémentaires à celles qui étaient posées dans le cadre des forums citoyens.
Les participants au questionnaire en ligne pouvaient répondre aux questions pour une commission ou plusieurs. Le nombre de questions variait en fonction de la commission. L’ensemble des questions posées dans le sondage en ligne est disponible à l’Annexe I. Dans ce rapport, les réponses aux questionnaires en ligne sont présentées dans les sous-sections pertinentes pour chaque commission thématique.
Toutes les personnes, associations, groupes ou organismes ont pu déposer un mémoire pour faire part de leurs priorités et recommandations concernant le contenu de la Constitution. Les mémoires pouvaient être transmis par la poste, par courriel, ou via un formulaire en ligne.
Les contributions des mémoires sont présentées à la fin de chaque sous-thème de manière à appuyer, contredire ou nuancer les résultats des forums ou du questionnaire en ligne.
Les participants à la consultation citoyenne étaient invités à consulter la documentation informative développée par l’INM. Ils avaient accès aux fiches introductives de la démarche ainsi qu’aux fiches thématiques des commissions, disponibles en ligne au www.inm.qc.ca/constituons/.
Les participants inscrits aux forums régionaux recevaient l’ensemble de la documentation dix jours avant l’événement. Des copies papier étaient également disponibles lors de l’activité.
Pour la constitution dans son ensemble, il est recommandé de suivre cinq principes généraux :
A – Le principe de lisibilité
B – Le principe de concision
C – Le principe d’inclusion
D – Le principe de simplicité
E – Le principe d’autonomie
En plus des principes généraux nommés ci-haut, des normes spécifiques de rédaction sont susceptibles d’orienter les travaux propres aux différentes commissions.
A – Le préambule, les valeurs et principes et les symboles nationaux
B – Les droits et devoirs fondamentaux
C – Institutions et pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire)
D – Organisation territoriale et attribution des compétences régionales et municipales
E – Partenariats autochtones, affaires canadiennes et les relations internationales
F – Procédures de révision et participation citoyenne
CONSTITUTE : https://www.constituteproject.org
DIGITEC- MJP- Constitutions du monde : http://mjp.univ-perp.fr/constit/constitintro.htm